Chant, voix et interprétation

L’interprétation

Voici un sujet qui intéressera les chanteurs que vous êtes : l’interprétation. Cette thématique m’est venue à l’esprit lors du dernier stage de chant que j’ai animé. Les stagiaires préparent à l’avance deux ou trois chansons et nous travaillons la méthode directement sur le répertoire. Dans cet article, je vous donne les points essentiels de ma vision de l’interprétation.

Pour bien chanter, soignez la relation avec les musiciens

Durant un stage de chant, tous les élèves sont accompagnés par un pianiste d’exception, Jérôme. Son histoire avec le piano est comparable à celle que nombreux d’entre vous vivent avec leur voix. A la sortie du conservatoire, il s’est trouvé une sorte de « raideur » vis-à-vis de son instrument. Il était comme «emprisonné » par la formation qu’il avait reçue. Il découvre le jazz, une véritable révélation, et retrouve le plaisir de jouer. Certains se reconnaîtront dans cette description y compris moi-même. Il n’y a pas si longtemps que j’ai retrouvé le plaisir de chanter.

Jérôme intervient beaucoup sur les aspects artistiques, musicaux et humains. II considère chaque stage comme une opportunité d’avancer sur son propre chemin de pianiste. Lors de ces stages, je remarque que c’est lorsque les élèves commencent à entrer dans la relation, à respirer et à toucher leur vraie voix, qu’il y a de la musique. En d’autres termes, la qualité du son et l’émotion dépend de la qualité de la relation qui s’établit entre le chanteur et les différents instruments en présence.

Si vous souhaitez un exemple concret de cette harmonie relationnelle, je vous conseille de regarder Buena Vista Social Club, un film qui me touche énormément. Une des scènes filme le premier concert international du groupe qui se déroule à Amsterdam. Le regard de jubilation que les musiciens échangent juste avant de jouer leur premier morceau, illustre parfaitement le plaisir de faire de la musique ensemble. Il y a quelque chose de gourmand et de savoureux dans ce regard.

Ainsi, chaque fois que Jérôme sort de son rôle d’accompagnateur pour être le musicien qu’il est, c’est parceque que l’élève se connecte à son hara et entre en relation avec le pianiste. Il y a alors connexion ; tout s’embrase. C’est de la pure magie !

Que signifie « interpréter » ?

En stage de chant, les élèves se soucient toujours de l’interprétation : ils VEULENT interpréter. Souvent, je leur dis : « Qui sommes-nous pour ajouter notre bazar émotionnel, notre égo dans des œuvres contiennent déjà tout ce qu’il faut ? ».

Pourquoi donc vouloir en rajouter ? Est-ce vraiment ce que le public attend ?

Brel disait : « Nous faisons un métier de cachet d’aspirine. » C’est vrai. Le spectacle permet de s’échapper du quotidien, de se distraire et de se nourrir de beauté. Il nous transforme, même si ce n’est qu’un court instant. Dans n’importe quel art, le public vient se nourrir de quelque chose qui le dépasse. L’auteur, au moment de la création, est inspiré, traversé, habité, l’œuvre est déjà complète ; ensuite l’interprète n’est qu’un vecteur dont le rôle est de faire passer cette nourriture et ces sentiments afin qu’ils résonnent à l’intérieur du public.

Finalement, nous ne sommes que les tuyaux des textes et des oeuvres que nous interprétons. Lorsqu’on devient vrai et qu’on renonce à l’idée d’interpréter ou d’émouvoir les gens à tout prix, la voix se dévoile et produit l’effet désiré sur le public. Par ailleurs, ce n’est pas l’interprète qui doit ressentir l’émotion mais bien le public. Si vous chantez la colère et que vous créez cette émotion, vous perdez votre voix. En revanche, il est vrai qu’il faut être relié à ce sentiment mais ceci se produit uniquement lorsque vous êtes vrai.

Il faut donc dépasser notre petit égo, notre mental et notre conditionnement étriqués. La clé réside dans l’abandon. Il s’agit de se mettre au service de l’autre, de l’oeuvre là où nous vivons dans une société du self-service dans laquelle nous avons l’habitude de prendre. Cessons d’être des « preneurs » et rendons-nous complètement disponibles. Soyons « vides » pour nous laisser envahir par quelque chose de différent, de plus grand que nous-mêmes. Lorsque cela se produit durant un stage, les poils se dressent et les larmes nous montent aux yeux. Si vous parvenez à faire ce travail avec votre voix, vous pourrez peut-être le reproduire dans d’autres dimensions de la vie. Ce détachement de soi est un état neutre et distant avec les choses.

Exercice pratique : retrouvez l’intelligence d’un texte

La difficulté de l’interprète est de se défaire de la version de la chanson qu’il a en tête. Un des dangers est de faire un simple copier-coller de l’interprétation originale que ce soit au niveau de la voix ou de certains mots qui ont pu être accentués. Un excellent moyen de travailler le texte est de mettre de côté l’aspect musical. En retrouvant ce que l’on pourrait appeler « l’essence » ou « l’intelligence » du texte, vous évitez de tomber dans le piège de la modélisation de votre chanteur préféré. Prenez quelques instants pour lire les premiers vers de ce poème de Jacques Prévert. Recherchez par vous-même les mots importants, ceux que votre voix devrait mettre en évidence.

Prévert, Cet amour

Cet amour
Si violent
Si fragile
Si tendre
Si désespéré
Cet amour
Beau comme le jour
Et mauvais comme le temps
Quand le temps est mauvais
Cet amour si vrai
Cet amour si beau
Si heureux
Si joyeux
Et si dérisoire
Tremblant de peur comme un enfant dans le noir
Et si sûr de lui
Comme un homme tranquille au milieu de la nuit
Cet amour qui faisait peur aux autres
Qui les faisait parler
Qui les faisait blêmir
Cet amour guetté
Parce que nous le guettions
Traqué blessé piétiné achevé nié oublié
Parce que nous l’avons traqué blessé piétiné achevé nié oublié

Jacques Prévert

Ce travail est assez rhétorique mais il vous aidera à faire ressortir la vérité et l’authenticité du texte. Dans ce poème, voici les premiers mots importants : « cet » (amour) et la répétition des « si ». Pourquoi ? Car ils expriment une intensité.

Essayez toujours de travailler un texte comme si vous racontiez une histoire.

Votre auditeur veut savoir : Où ? Comment ? pourquoi, Avec qui ? Par quels moyens ? Avec quelle énergie ? Avec quelle émotion ? Ce sont toutes ces questions auxquelles vous devez répondre pour combler votre audience. Il y a des centaines de façons différentes d’aborder un texte. Vous connaissez tous au moins un chanteur qui n’a pas une grande voix mais qui  parvient tout de même à transmettre des émotions fortes à son public. C’est sans doute parce qu’il parvient à transmettre l’intelligence des mots.

Quelques conseils supplémentaires pour une interprétation juste

Je ne conseille pas toujours à mes élèves de choisir des chansons pour lesquelles la voix des chanteurs est proche de la leur. Il est possible de chanter sur des chansons dont la voix est très différente de la sienne. Ensuite, il faut se méfier de l’exploit technique. Il est très égotique de vouloir tout de suite transformer sa voix et atteindre « la » note. Je vous inviterais plutôt à travailler en priorité dans des registres simples, en installant votre voix entre le grave et le début des aigus. Choisissez des tonalités avec lesquelles il vous est possible de garder cette connexion avec votre hara.

Enfin, certains se plaignent de ne pas pouvoir trouver un accompagnement enregistré adapté à leur voix. Il y a plein d’instrumentistes qui ne rêvent que de pouvoir accompagner un chanteur. Si vraiment vous avez envie de continuer en play-back, vous pouvez très bien solliciter une école de musique pour faire enregistrer par un élève une version instrumentale dans le tempo et la tonalité qui vous conviennent.

Je vous invite à partager votre expérience de chanteur ou votre opinion quant à l’interprétation. Un petit commentaire fait toujours plaisir.

A bientôt pour de nouvelles aventures.

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