La voix, notre corde sensible

La voix est la “musique de l’âme”, disait Barbara. Si, le plus souvent, la nôtre nous déroute, celle des autres a le pouvoir de nous séduire ou, à l’inverse, de nous crisper. Sachons décrypter cette grande bavarde et en jouer ! 

Par Agnès Rogelet, rédactrice à Psychologie Magazine

Ma voix ne me satisfait pas. Trop émotive, elle ne porte pas la douceur que j’aimerais faire partager. Je rêverais qu’elle ressemble à celle de Philippe Noiret : posée et présente, invitant à être écoutéec, dit Pierre, 40 ans, accompagnateur en montagne et conteur. Qui n’a pas connu cette sensation d’étrangeté en entendant pour la première fois sa voix sur son répondeur ou un magnétophone ? Comme si une discordance surgissait soudain. Le son qui sort de notre bouche, tics de langage mis à part, ne semble pas raccord avec l’image que nous avons de nous.

« Dans 90 % des cas, les gens n’aiment pas leur voix enregistrée, car ils ne la connaissent pas. Ils découvrent un décalage avec celle qui résonne en eux par l’intermédiaire des os, celle qu’ils ont l’habitude d’entendre et sont les seuls à pouvoir percevoir », explique le docteur Elisabeth Fresnel, auteur de La Voix,( Le Rocher, 1997), phoniatre au laboratoire de la voix Espace de la Fondation Rothschild (25, rue Manin, 75019 Paris. T. : 01.48.03.68.38), où l’on rééduque les voix. Difficile d’apprivoiser cette vibration si intime de notre corps qui s’échappe de notre intérieur telle la fumée d’une cheminée !

Porte-parole de notre histoire

Un mot, un cri, un sanglot, un rire est lâché. Ça y est, nous voilà démasqués ! « Notre rapport à la voix est imaginaire, renchérit le psychanalyste Moussa Nabati. C’est un rapport de désir, lié à l’image de soi, car c’est notre être profond qui s’exprime à travers cet instrument de communication. A ce titre, l’homonymie entre “voie” et “voix” est une heureuse coïncidence. » Toute notre histoire peut ressurgir. Certaines personnes demandent un simple renseignement et se sentent agressées dès qu’on leur répond. Comme si leur voix, trop coupable, appelait cette agressivité.

Ce “grondez-moi” transmis à travers la façon de parler peut être le cryptage d’un conflit non réglé avec les parents. Il est aussi des voix criardes ou rocailleuses qui s’épuisent à se faire entendre et semblent marteler : « Je vous dis que j’existe, que j’ai une place parmi vous. » Véritable prolongation de notre vie intérieure, ce véhicule des mots traduit nos inhibitions. D’ailleurs, oser chanter spontanément à gorge déployée libère une énergie qui, souvent, nous fait peur. Car nous voudrions tellement que tout ce qui sort de nous soit parfait…

Jeu de devin, jeu de comédien

Eloquente à notre insu, notre voix fluctue selon notre interlocuteur. « Je connais quelqu’un qui parle normalement quand je discute au téléphone avec lui de son travail, mais dès que je lui demande des nouvelles de ses enfants, j’ai l’impression qu’il leur a passé le combiné », raconte Moussa Nabati. Métamorphose d’un adulte s’adressant à un professionnel de la confidence intime… Mais n’avons-nous pas tous une voix différente selon que nous dialoguons avec notre mère, notre conjoint, notre boulanger ou notre chef de service ?

« Ce haut-parleur de la personnalité et des émotions », comme la définit le phoniatre Yves Ormezzano, tremble à l’oral du bac, chevrote à l’entretien d’embauche, déraille dans les aigus sous le coup de la colère, s’affirme haut et fort pour surmonter le trac. Il peut tromper l’oreille d’un auditeur sur notre âge, voire notre sexe, mais pas sur nos états d’âme ! « La personnalité structure la voix dans la durée. Les émotions et les sentiments la modulent dans l’instantané », ajoute Yves Ormezzano.
Attention toutefois : ce n’est pas toujours elle qui domine ! Nous savons parfaitement en jouer pour agir sur autrui. Un papa élève la voix pour faire cesser les disputes, une maman chuchote pour rassurer, un patron prend un ton d’adjudant lorsqu’il veut être obéi, une vendeuse chantonne presque pour enjôler les indécis, tandis que l’amoureux “fait l’enfant” pour se faire materner. Il y a aussi ces voix d’hypnotiseur qui prennent le pouvoir, de Père Noël qui évoquent le vieux sage et imposent le respect…

Isabelle, 40 ans, utilise beaucoup cette gamme dans son métier d’attachée de presse : « Quand j’ai quelqu’un d’énervé au bout du fil, je place ma voix à l’opposé. Et si j’ai à obtenir quelque chose, au lieu de prendre la voix “bonbon caramel trop sucré” de l’opératrice phonique, je reste policée mais plutôt “vinaigre-eau de javel”. »

Ma voix ne me satisfait pas. Trop émotive, elle ne porte pas la douceur que j’aimerais faire partager. Je rêverais qu’elle ressemble à celle de Philippe Noiret : posée et présente, invitant à être écoutéec, dit Pierre, 40 ans, accompagnateur en montagne et conteur. Qui n’a pas connu cette sensation d’étrangeté en entendant pour la première fois sa voix sur son répondeur ou un magnétophone ? Comme si une discordance surgissait soudain. Le son qui sort de notre bouche, tics de langage mis à part, ne semble pas raccord avec l’image que nous avons de nous.

« Dans 90 % des cas, les gens n’aiment pas leur voix enregistrée, car ils ne la connaissent pas. Ils découvrent un décalage avec celle qui résonne en eux par l’intermédiaire des os, celle qu’ils ont l’habitude d’entendre et sont les seuls à pouvoir percevoir », explique le docteur Elisabeth Fresnel, auteur de La Voix,( Le Rocher, 1997), phoniatre au laboratoire de la voix Espace de la Fondation Rothschild (25, rue Manin, 75019 Paris. T. : 01.48.03.68.38), où l’on rééduque les voix. Difficile d’apprivoiser cette vibration si intime de notre corps qui s’échappe de notre intérieur telle la fumée d’une cheminée !

La voie de la séduction

« La voix intervient à 38 % dans la communication, derrière la gestuelle (55 %), mais bien au-delà des mots (7 %) qui sont, pourtant, les éléments que l’on maîtrise le plus », rappelle Marc Spund, psychologue clinicien au laboratoire Espace. Signe que notre oreille est sensible à la prosodie (accentuation, rythme, inflexions, etc.). Cette musicalité agit sur nos attirances et répulsions, au point que l’on se retrouve parfois sur la même longueur d’ondes.

Chantal, 56 ans, diététicienne, en témoigne. Elle a succombé à un certain Michel… au téléphone. « J’ai eu un coup de foudre pour sa voix de “théâtreux”. Posée, vibrante, elle m’évoquait l’amour sexuel. Un véritable choc esthétique ! Exactement comme un roman dont une phrase exprime ce que l’on ressent mais que l’on n’aurait jamais su dire. Il y avait un accord tacite entre sa voix et moi. » Il nous bouleverse, ce brame qui semble monter des entrailles de l’être pour appeler l’acte sexuel.

« Les battements du cœur aussi sonnent grave, remarque Jean-Robert, ingénieur du son. Le grave résonne en nous. Il pénètre tout entier dans le corps. D’ailleurs, lorsqu’on écoute un disque, la basse vibre véritablement à l’intérieur de nous. » Yva Barthélémy (auteur de “La Voix libérée”, Robert Laffont, 1995), spécialiste du chant, le souligne autrement : Don Juan est baryton, et cette “voix de mâle en rut” incarne la puissance absolue. Un “bel organe”, qui chamboule les femmes… Réciproquement, la femme fatale chante en alto ; celle, plus charnelle, qui “accueille le désir et s’y abandonne”, en mezzo-soprano. A ce jeu de rôles, Elisabeth Fresnel met un bémol.

Selon la phoniatre, on réagit surtout à des modes. Dans notre société, plus androgyne que celle des années 30, les sirènes n’envoûtent plus les Ulysse avec des piaillements ou des tessitures d’anges, cristallines et fragiles… Pour les ingénieurs du son, les timbres aigus sont plus difficiles à restituer. Acteurs, journalistes télé et animateurs radio aggravent donc désormais leur voix. Comme déjà Lauren Bacall, qui a fabriqué la sienne à force de fumer et de hurler du haut d’une falaise ! La voix chaude a roulé sa bosse, gommant son aspect “petite fille” ou “immature”. Celle d’Amanda Lear ne lui vaut-elle pas de susciter l’ambiguïté sexuelle ?

Avouons que derrière une voix, chacun se fait son cinéma. Intuitivement, elle nous inspire un portrait ébauché, caricatural. Nous allons même nous imaginer un visage ou une silhouette ! Mais là, elle nous met souvent sur la mauvaise voie…

La voix, ce qu’elle réveille en nous

La voix que nous aimons restaure la fusion mère-enfant, y compris dans un timbre masculin, explique le psychanalyste Moussa Nabati, auteur de La Dépression et L’Humour-Thérapie (Bernet-Danilo, 1999). Son harmonie nous met en confiance, nous sécurise, nous enveloppe. Ceux qui nous stressent avec des arpèges de clairon, un ton de monsieur Je-sais-tout ou des envolées de stentor évoqueraient-ils le père ou la mère persécuteurs ?

Certaines voix réveillent ce qui nous reste en travers de la gorge. « Par exemple, chez une personne “adultifiée” trop tôt, des voix pointues ou infantiles font ressurgir une période où se mêlent la souffrance et la fascination de ce qu’elle n’a pas vécu. Alors, elle les rejette. » Ecouter autrui serait donc s’entendre un peu soi-même… Pas étonnant qu’il soit si complexe de faire résonner l’accord parfait !

Travailler sa voix

Pour le psychologue Marc Spund, « la voix est un clignotant qui, parfois, signale un mal-être ». Impossible d’en changer, mais dans ce cas, après un bilan vocal et auditif, la rééduquer sous la conduite d’un phoniatre améliore sa relation aux autres et l’image de soi. Par ailleurs, chacun peut s’amuser à écouter son propre organe vocal et s’appuyer sur les conseils prodigués dans les cours de chant, de théâtre ou d’expression orale pour avoir une voix plus agréable.